lundi 9 janvier 2017

Réduire la masse, c’est bien, mais pour gagner combien ?

Tous les motards sont conscients que la masse est ennemie de la performance. 

Au vu de l’énergie dépensée par les constructeurs pour réduire la masse de leur moto (c’est aussi un argument marketing de poids) et au vu des sommes dépensées dans des accessoires légers par les motards (en carbone, en titane), le gain de masse est pris très au sérieux par tous.

Mais quand on pose la question : combien fait gagner une réduction de masse sur le temps au tour, la réponse n’est ni évidente, ni immédiate.

C’est la question à laquelle on va répondre. A noter qu’on s’intéresse à une réduction de masse suspendue (pour simplifier, tout ce qui est au dessus des suspensions) – en opposition à une réduction de masse non suspendue.

Gain en phase d’accélération


Équation de base


Quand on parle dynamique, on part du Principe Fondamental de la Dynamique :
Masse x accélération = somme des forces

Pour un ensemble moto + pilote de masse m :
m.amF(m)

Pour un ensemble moto + pilote de masse m + dm (dm étant la variation de masse) :
(m+dm).am+dm =F(m+dm)

Comment déterminer am+dm, l'accélération de la moto de masse m+dm ?


Si on cherche à intégrer cette équation pour trouver une solution analytique, on va vite se rendre compte qu’il nous manque nombre de paramètres : la force motrice, les paramètres aérodynamiques, le frottement sol.

En revanche, il est possible de déduire F(m) d’une acquisition GPS.

L’acquisition GPS donne la vitesse échantillonnée à 10 Hertz (10 fois par seconde), il suffit donc de dériver cette vitesse pour trouver l’accélération. La somme des forces est donc égale à cette accélération divisée par la masse de la moto + pilote.

Très bien, on a F(m), mais qu’en est-il de F(m+dm) ?


La seule force qui dépend de la masse de la moto est le frottement sol. Ce frottement sol est de la forme constante x masse. Elle ne dépend de rien d’autre. Si vous êtes assis sur la moto, c’est la force qu’il faut pour vous pousser à basse vitesse.

En comparaison de la force aérodynamique, cette force devient vite négligeable au fur et à mesure que la vitesse augmente - la force aéro étant proportionnelle au carré de la vitesse. 

L’hypothèse simplificatrice est donc F(m+dm) = F(m). 

Attention : cela ne signifie pas que l'accélération ne dépend pas de la masse (la masse apparaît aussi dans le terme de gauche de masse x accélération = somme des forces, on dit seulement ici que somme des forces ne dépend pas de la masse).

Nouvelle accélération


A partir de là, nous avons tous les éléments pour déterminer la nouvelle accélération suite à la variation de masse :
am+dm = m/(m+dm)xF(m)

Application numérique : gain de masse sur pilote et optimisation du remplissage du réservoir


Lors de l’épreuve du Promosport cette année, j’ai fait une acquisition GPS sur la ligne droite de Nogaro. En promo 500 cup, on passe de 70 à 180 km/h sur cette ligne droite. Idéal pour notre étude.

J’ai pris l’accélération de mon meilleur tour en course. Je pesais 84 kg, et je partais réservoir plein.

Si je perds 6 kilos, et que j’enlève 5 litres d’essence avant de partir (masse volumique : 0,7 kg/L), je gagne 9,5 kg. 
dm = -9,5 kg

La masse initiale (moto + pilote avec son équipement + plein) est 275,0 kg. 
La nouvelle masse (moto + pilote plus léger avec son équipement + remplissage d’essence optimisé) est 265,5 kg.

Le fichier Excel pour le détail des calculs : lien

L’acquisition GPS est à gauche. Il s’agit de la vitesse en km/h. On convertit en m/s. 

On dérive par rapport au temps, on obtient l’accélération en m/s/s.

A cette accélération, on applique le coefficient m/(m+dm) pour trouver la nouvelle accélération.

On intègre par rapport au temps, on obtient la vitesse en m/s (la constante d’intégration est donnée par la vitesse initiale de l’acquisition GPS).

Le gain entre la nouvelle accélération et l’accélération d’origine, en fin de ligne droite, est de l’ordre de 0,3 seconde, ce qui correspond à 15 m.

Courbe d'accélération et effet d'une réduction de masse (et non de poids !)
Cliquer pour agrandir


Voilà pour ce qui concerne l’accélération. 


Gain en phase de freinage


Pour la décélération, le raisonnement pourrait être identique. Ceci étant, le gain sur le freinage est moins évident. 

Il y a un gain uniquement dans le cas où le système de freinage ne permet pas de freiner au maximum de ce que permet la moto (c’est-à-dire lorsqu’il n’y a plus de poids sur la roue arrière ou que le maximum d’adhérence de la roue avant est atteint). Ce n’est pas le cas du CB 500. 

De plus, au freinage, c’est souvent plus le pilote qui est limitant que les caractéristiques de la moto.

On ne considère donc pas de gain en phase de freinage.

Le gain à retenir : -10 kg => -0,3 s/min


En utilisant la courbe calculée juste avant, il est possible d’estimer l’ordre de grandeur du gain par circuit, en regardant les grandes phases d’accélération sur chaque tracé.
J’ai fait l’exercice pour les circuits de Magny-Cours, Nogaro et Carole.
Ce qui est très intéressant, c’est que ce gain est de l’ordre de 0,3 s/min, peu importe le circuit.

Effet sur un tour de circuit d'un gain de masse sur la moto et le pilote


C’est donc la relation à retenir. 

Corollaire : si on n’est pas à 0,3 s/min près, on peut se laisser aller sur le foie gras et les fraises tagada.